Fitou, une des plus anciennes appellations du Languedoc, date de 1948, et regroupe 9 communes sur 2300 hectares, dans la partie maritime des Corbières. Elle a la vue sur la mer, sans avoir les pieds dans l’eau. Tout vignoble en rêverait. Ajoutez à cela 300 jours de vent et de soleil par an, et les conditions deviennent idéales. Mais quand le vin est tiré, il faut le vendre, et c’est plus compliqué. “Sei complicat”, comme on dit en langue d’Oc. Ils sont donc 170 à s’être rangés sous la bannière des Vignobles du Cap Leucate, un des fleurons du groupe Vinadeis, qui leur a promis la qualité en prime.
“Plus le jardin est grand, plus les possibilités de choix et de sélection sont grandes”, a coutume de dire Bertrand Girard, le président du directoire de Vinadeis. Parmi les 170 viticulteurs, on compte 70 apporteurs dont les parcelles représentent moins de 4 hectares. En période de vendanges, le samedi leur est réservé, afin que leurs raisins ne soient pas noyés au milieu des autres tracteurs devant les trois quais de réception. “Ici, c’est comme à l’Onu, un homme égale une voix, quel que soit la surface de ses vignes”, confie Christophe Jaulent, le vice-président de Cap Leucate.
Vendanger avant les sangliers
Il est aussi gérant du Domaine de Carpy, et nous conduit sur la presqu’île de Leucate, dont le plateau calcaire domine la mer. Les vendanges sont terminées depuis près d’un mois, après avoir commencé le 11 août, avec le muscat sec, pour finir le 29 septembre. A la main pour l’essentiel, dans ces petites parcelles peu accessibles, et de surcroît taillées en gobelet. Comme d’habitude, Rivesaltes a vendangé avant tout le monde… pour passer à la télé. Mais il faut surtout passer avant les sangliers, qui croquent les raisins dès qu’ils sont mûrs. Heureusement, les vignerons disposent d’autres indicateurs de maturité. Après analyse de leurs grappes, ils reçoivent un calendrier de vendanges actualisé en permanence. Le millésime 2015 s’annonce prometteur en Languedoc-Rousillon, avec 13,5 millions d’hectolitres attendus, soit 800 000 de plus que l’an dernier. “La région est marquée au fer rouge de la production, et il faut redonner aux vignerons le goût pour davantage de qualité”,
remarque Olivier Dauga, l’ancien joueur de rugby qui conseille Vinadeis depuis 2012. Non seulement, je dois identifier les parcelles qui ont le meilleur potentiel, mais aussi les hommes capables d’effectuer ce saut qualitatif”, ajoute le fondateur de Faiseur de vin. Christophe Jaulent, 49 ans, est sans conteste l’un d’entre eux. Cet ancien charcutier-traiteur a épousé une Leucatoise, ainsi que la cause viticole. “Entre les pins et les amandiers, les asperges sauvages et les pêchers, ce vignoble du plateau, c’est un peu mon bureau”, s’exclame-t-il, en parcourant une parcelle de grenache noir, le cépage dominant du Domaine de Carpy (40%). Le reste est constitué à parts égales de syrah, de carignan, et de mourvèdre. Un vin puissant qui se marie bien avec la sublime daube aux patates douces d’Anne Escalier, qui tient la chambre d’hôtes Zénaïde, à Roquefort des Corbières.
Une parcelle de poupées calciques
Plus loin, des filets sont tendus sous les oliviers dans un champ en train d’être récolté, tandis que nous marchons jusqu’à une parcelle de carignan, protégée comme une forteresse par des murets de pierre sèche. On y retrouve ces cailloux de calcaire sur le sol, parsemé de poupées calciques. Ce n’est qu’un des terroirs du Fitou, qui va des galets roulés aux limons fins, en passant par les schistes de Quintillan, et de nouveau le calcaire autour de Roquefort des Corbières. C’est ici que passait la Via Domitia, dont on distingue encore au milieu de la garrique et des pins les sillons formés par la trace des roues laissée par les chars romains.
A cette diversité de terroirs, correspond une grande variété de vins. Une majorité de rouges, mais aussi des rosés, et des muscats. Ceux-ci exigent à la fois un épamprage au bas des pieds, puis un ébourgeonnage, ils sont disponibles à la fois en sec et en doux, et donc mutés pour ces derniers, après un assemblage à base de muscat petit grain et de muscat d’Alexandrie. Les Vignerons du Cap Leucate font même une cuvée Royal très recherchée, sous-titrée “Mataroc”, du nom que l’on donne au mourvèdre, qui constitue l’intégralité de cette divine bouteille. Cette vendange oubliée, et non millésimée, n’est ramassée qu’en novembre, pour laisser fleurir ses arômes de cassis. Le terroir de Fitou réserve d’heureuses surprises.
Une tramontane qui ventile façon bio
L’une d’entre elles se nomme Vue Imprenable, c’est le summum du Domaine de Carpy, la Cuvée Black Reserve, la marque ombrelle du groupe Vinadeis pour le haut de gamme. “Le chai ultra-moderne de La Prade, construit en 2010, est en effet capable de traiter à part, dans de petites cuves inox, et en partie dans des fûts neufs, nos cuvées haut de gamme”, souligne Christophe Jaulent, dont un fils est cuisinier, et l’autre pêcheur à Port-Leucate. Un homme qui s’est enraciné en douceur dans ce terroir, si proche de la Méditerranée qu’il incite plus au farniente qu’au travail de la vigne, et à la recherche constante de la qualité.
Une parcelle de 12 hectares, isolée le long de la mer, et située près du phare, est par ailleurs cultivée en bio. Il faut dire que la tramontane, dont le souffle prend son élan depuis Toulouse, se renforce en s’engouffrant dans le couloir formé par le massif des Corbières et celui de La Clape. Ce vent à faire dérailler les wagons, et décoller les kites, assure également une ventilation naturelle aux raisins. Le terroir de Leucate est ainsi intégré dans le périmètre Natura 2000, sur lequel un berger entouré de moutons veille aux côtés des vignerons du cap.
Bertrand Girard : « Le raisin doit voir la mer et le soleil »
Dégustation
2013
Racé, tendu, dense, fruit intense, épices poivrées, très fin, allonge, racé, vin de grand caractère, élancé. Beau terroir de calcaire dur.