« Je suis en dégustation ou dans le jardin », peut-on entendre sur la messagerie de Pierre-Jean Sauvion.
Ce jardin s’étend aujourd’hui sur 42 appellations du Val de Loire, du pouilly-fumé au muscadet.
Au total, cela représente 800 vignerons partenaires que le groupe des « Grands Chais de France » fédère et dynamise, en leur apportant une logistique de pointe. A 37 ans, Pierre-Jean Sauvion participe à cette aventure viticole, à laquelle la faculté d’œnologie de Bordeaux l’avait préparé, grâce des stages en Alsace et à Cahors, mais aussi en Australie et en Californie. Loin de Perth et de la Margaret River, ou de Saint Helena et de la Napa, ses tâches restent les mêmes : maturité des rouges, fraîcheur des blancs. Les vins ligériens n’échappent pas à la règle.
Pierre-Jean Sauvion, oenologue
Un cousin ligérien d’Yquem
En Anjou, le Château de Fesles compte 38 hectares, à parts égales entre les deux couleurs. Sur le plateau, les vignes de cabernet franc donnent un rouge vif et plaisant. Mais il est plus connu pour ses blancs secs ou liquoreux. Fesles domine la rivière du Layon, mais cela n’en fait pas pour autant un coteaux-du-layon. Il fait partie d’une appellation plus prestigieuse encore, celle de Bonnezeaux. Les archives du château mentionnent en effet le cru de Bonnezeaux en 1055, sous la plume des moines du Gué de Berge. Bien né, certes, il n’est pas étonnant que ce vin gourmand ait attiré de nombreux siècles plus tard un grand nom de la pâtisserie, Gaston Lenôtre. Avant d’être revendu à Bernard Germain en 1996.
Les Grands Chais de France s’en sont portés acquéreurs en 2008 séduits par ce liquoreux légendaire que certains qualifient d’Yquem des bords de Loire. Mais il n’y a qu’un seul Château Yquem, tout comme le Château de Fesles est unique.
Seul point commun entre les deux grands liquoreux, le Ciron est au sauternes ce que le Layon est au bonnezeaux. Dans l’un et l’autre cas, ce sont les brouillards sortis du lit de la rivière qui enveloppent les vignes et favorisent ainsi la formation de la fameuse pourriture noble. Vitis vinifera + botrytis cinerea, telle est l’équation magique et mystérieuse du Château de Fesles.
Le cépage roi de cette terre angevine, c’est le chenin blanc, le même que l’on trouve à Vouvray, plus en amont. Mais le pineau de la Loire, son autre nom, ne trouve point ici de tuffeau sous ses pieds. Ce sont des schistes bleus qui vont constituer son terrain d’élection et donner de sublimes liquoreux. Rabelais s’exclamait déjà au XVIe siècle, dans Gargantua, « Ô le gentil vin blanc, et par mon âme, ce n’est que vin de taffetas ».
Le quatrième point culminant d’Anjou
Autre nuance à apporter, Vouvray et Savennières sont au nord de la Loire, alors que Bonnezeaux se situe au sud du plus grand fleuve de France. Tout comme les quarts-de-chaume et les coteaux-de-l’aubance. « Le Château de Fesles, près du village de Thouarcé, est le quatrième point le plus haut de l’Anjou, à 83 mètres d’altitude, souligne Pierre-Jean Sauvion, cela peut faire sourire, mais cela suffit pour qu’il bénéficie d’un petit vent chaque après-midi, propice pour maintenir les raisins dans un état sanitaire parfait ». Une brise légère et une pente douce, rien de tel pour faire de grands vins.
Pas étonnant, donc, si le triangle d’or des liquoreux, l’alcool, la sucrosité et l’acidité, trouve ici son point d’équilibre. Cela suppose aussi cinq à sept tris successifs, au moment des vendanges.
Voire une sélection plus draconienne encore, lorsqu’en 2008 et en 2012, « Nous avons décidé de ne pas faire de Château de Fesles. C’est une décision difficile à prendre, se souvient le jeune Sauvion, et seul un grand groupe peut se le permettre, au nom de la qualité. Mais en un coup de téléphone avec notre président, Joseph Helfrich, la question a été réglée ». Le dirigeant alsacien sait bien que les liquoreux sont des vins capricieux auxquels on ne saurait forcer la main. Et que deviennent alors les raisins, demande-t-on ? « Ils restent dans les vignes, ou font du coteaux-du-layon générique », répond l’œnologue, en rappelant qu’Yquem non plus n’a pas millésimé son 2012.
Château de Fesles en images
Des barriques en acacia
Le domaine commercialise également un anjou blanc sec, mais son étendard reste ce liquoreux de Loire aux reflets d’or et aux arômes d’agrume. Il jouit d’un traitement particulier qui se prolonge jusqu’au chai. Le pressoir à plateaux Vaslin exerce par exemple une pression supérieure aux appareils pneumatiques et sa cage perforée favorise en même temps une légère oxydation. Son élevage se poursuit ensuite en barrique de 400 litres, aux deux tiers en chêne, et pour un tiers dans des barriques d’acacia. « Les barriques d’acacia que nous livre la tonnellerie Dargaud & Jaeglé, en Saône-et-Loire, avec une chauffe légère, possèdent des tanins ellagiques qui neutralisent l’amertume du chenin », précise Pierre-Jean Sauvion. Résultat, moins de boisé, et une note plus florale.
« Je souhaite qu’un amateur ait l’impression de croquer du raisin en buvant nos vins, ajoute Pierre-Jean Sauvion. Il faut aller chercher une concentration maximum, sans que l’on sente le sucre pour autant. Au risque de tomber dans la confiture ». Pas de recette toute faite, c’est avant tout le pragmatisme et l’observation qui président à l’élaboration du Château de Fesles. « Nous avons fait trois tris en 2010, et neuf en 2005, où nous sommes repassés dans les rangs jusqu’à la mi-décembre ». Chaque millésime exige une attention particulière, ce qui n’exclut pas quelques lignes directrices, comme le fait de gommer l’influence du bois et de garder une pointe d’acidité.
Pour un tel vin à la robe lumineuse et au toucher soyeux, il fallait un flacon digne de ce nom, et une bouteille élancée qui contredise la réputation sirupeuse prêtée à tort aux liquoreux. Une cordelette dorée habille le goulot, comme le ruban d’un cadeau. L’étiquette brille, elle, par sa sobriété, en indiquant Château de Fesles, Bonnezeaux, suivi de la mention “vin rare”. En deux mots, on ne saurait mieux dire.
Château de Fesles, le joyaux de la Loire
Pierre-Jean Sauvion, oenologue
Les vins
Blanc liquoreux
2010
Nez de pain dépices, dananas frais, avec une juste tension derrière et une finale sur labricot sec.
2009
On sent la densité et l’onctuosité qui s’affinent progressivement, avec un fort potentiel derrière, il convient de se montrer encore patient.
2007
Nez de citron confit et dananas, bouche puissante, élégante et superbement tendue. Le vin devient plus complexe avec le temps.
2006
2006 s’est montré difficile pour les liquoreux et n’atteint pas la pureté de son aîné ni celle de son successeur. Le vin manque de précision dans son rôti, avec une évolution vers les épices et le curry.
Blanc sec
2006
Citron, fleurs blanches et maintenant miel emmènent cette cuvée autour d’un gras tenu par une juste acidité.
Blanc liquoreux
Blanc sec
Rouge
Blanc sec
2012
Nez dagrumes avec une touche dabricot, bouche fraîche et équilibrée de bonne longueur.
2011
Accents de fruits jaunes avec une touche de fumé, la bouche ouvre sur du gras puis elle se poursuit sur la vivacité.
2006
Ce 2006 se présente avec une belle structure, de la matière et une qualité de fruits qui lui fournit sa franchise délicate. La finale est très longue, minérale et raffinée.
Rouge
2009
Accents de poivron rouge et de poivre, la bouche est franche et coulante avec encore une pointe de rigidité dans l’expression des tanins.
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