Ernest Sauvion était de ces paysans qui savent compter, et ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier.
Négociant en cochons, il avait une technique de vente particulière : un cochon se vendait à coup sûr après quatre verres de muscadet. Soucieux de maîtriser ses approvisionnements, il fit donc l’acquisition en 1935 des 30 hectares du Château du Cléray, au cœur du vignoble nantais. « Mon arrière-grand-père est progressivement devenu un viticulteur à part entière, raconte Pierre-Jean Sauvion, car il a ensuite racheté à son voisin les 60 hectares du Domaine du Cléray ».
« Au total, nous avons aujourd’hui 95 hectares plantés, dont 70 % de melon de Bourgogne ou de muscadet, comme vous voudrez, qui entre principalement dans le Château du Cléray » poursuit-il. Le Domaine du Cléray, qui est un assemblage de muscadet, de chardonnay et de sauvignon, n’a droit qu’à l’appellation IGP Val de Loire. En ces premiers jours de juin, nous sommes au début de la floraison et c’est un pur plaisir que de parcourir la vigne, chatouillé par ses parfums fugaces et délicats. « La fleur, c’est le moment clé de notre métier, elle déclenche le compte à rebours des vendanges et il faut un peu de vent pour que la pollinisation se passe bien. Pas de fruits sans fleurs », rappelle le jeune œnologue en parcourant les parcelles de ce terroir qu’il a baptisé du joli nom d’ « Eolie ».
Celle-ci s’appelle « Bois jamais ». Jamais d’eau, bien entendu. Celle-là, se nomme « les friches Garnier », du nom de l’ancien garde-chasse. Cette autre, « les Eoliennes » : plantée de chardonnay, c’est un cépage précoce, donc sensible au gel, d’où cette éolienne qui se contente de brasser de l’air pour le réchauffer. Mais elle n’a pas servi cette année. « En 1991 et 2008, nous avons été très touchés et elle a beaucoup tourné, malheureusement en vain. Mais cela reste plus efficace et surtout plus écologique que les pneus de tracteur que l’on faisait autrefois brûler dans les vignes. »
L’oxydation, l’ennemi numéro 1
des blancs secs
Au confluent de la Sèvre et de la Maine, le Château du Cléray mérite amplement son appellation, c’est d’ailleurs une des plus anciennes propriétés des muscadets de Sèvre et Maine, la plus prestigieuse des trois appellations régionales, avec les Coteaux de la Loire et les Côtes de Grandlieu. L’appellation Sèvre et Maine se subdivise elle-même en trois appellations communales (Le Pallet, Gorges et Clisson). Le village de Vallet (prononcez Valette), dont on aperçoit le clocher au-dessus des vignes, a lui aussi déposé un dossier afin d’en bénéficier. Comme si le maquis des appellations diverses et variées n’était pas déjà assez compliqué pour l’amateur. « Château du Cléray, le meilleur du muscadet », devrait pourtant suffire. Mais non, chacun veut son hochet, de plus en plus dérisoire à l’heure de la mondialisation.
Pierre-Jean Sauvion, 37 ans, approuve, tout en poussant ses pions pour décrocher la timbale. « Ce cru Vallet s’étend sur une parcelle de cinq hectares sur schistes, son arôme est plus floral et moins agrume et il n’est pas sur lie ». Autre singularité du muscadet, il est élevé « sur lie » au singulier. Ce qui le protège de l’oxydation, mais entraîne un côté un peu perlant. « L’oxydation, c’est l’ennemi numéro un des blancs secs », ajoute l’œnologue diplômé de l’université de Bordeaux qui a roulé sa bosse en Californie, en Australie et en Alsace, avant de revenir au pays. « Tant que le raisin est sur pied, il n’y a pas de problème et au chai on contrôle très bien l’oxydation, c’est entre les deux que la question se pose. C’est une des raisons pour lesquelles nous vendangeons depuis longtemps à la machine. »
Pierre-Jean Sauvion, oenologue
La cuvée prestige du Cardinal Richard
Les rendements restent raisonnables, 45 à 50 hectolitres/hectare, selon les millésimes et les cuvées. La cuvée prestige, Cardinal Richard, doit son nom à l’ancien propriétaire du Château du Cléray, qui en avait fait son vin de messe favori. En outre, la cuvée Douce Surprise est un vin « tendre », avec environ 45 grammes de sucre par litre, « mais je n’ai pas droit au terme liquoreux, il porte la mention Vin de France sur l’étiquette. Nous n’en faisons que les belles années, 2 000 à 4 000 bouteilles. Le vrai patron, c’est le soleil », sourit Pierre-Jean Sauvion en pointant le doigt vers le ciel.
Il a néanmoins changé de patron en 2007, lorsque Les Grands Chais de France ont racheté le Château du Cléray puis quatre ans plus tard le Domaine du Cléray. Mais le deuxième plus grand acteur du vin en France, soucieux de continuité, l’a maintenu dans ses fonctions. La bâtisse blanche du Château du Cléray, entourée de grands arbres, est devenue le siège de tous les vins de Loire du groupe. Celui-ci s’est d’abord préoccupé du matériel végétal, à juste titre. Et l’étape suivante consistera à trouver un toit aux grandes cuves inox, qui sont encore maintenant posées en plein air et régulées par un groupe électrogène. Ce sera chose faite l’an prochain.
« Ce terroir silico-argileux donne un vin blanc sec savoureux, vif et séveux », conclut Pierre-Jean Sauvion, qui se définit comme un « façonneur de plaisir ». Chaque bouteille, bordelaise, il faut le souligner, est d’ailleurs signée « Sauvion, Haute culture ». Quatre-vingt ans après, le seul souvenir qui reste de la tradition porcine d’Ernest Sauvion est le tire-bouchon, qui sonne l’ouverture de ce grand nom du muscadet.
Château du Cléray en images
«Nous ne sommes pas des vignerons mais des façonneurs de plaisir»
Pierre-Jean Sauvion, Oenologue
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2012
Comme à son habitude, cette cuvée offre iode, salinité, et cette année des accents de fruits jaunes, cest un vin qui parle aussi bien à lamateur quau profane.
2011
On apprécie les accents d’embruns marins, avec une touche d’agrumes, ce vin claque bien en attaque et se montre persistant et élégant avec une finale saline et cristalline.
2010
Vin qui commence à s’ouvrir avec des accents salins et une bouche quasi cristalline de grande classe.
2009
Fruits jaunes au nez, ce vin affiche en entrée de bouche la richesse du millésime, puis il prend de la droiture et de la longueur. Il convient aux poissons les plus nobles.
2004
Nez d’amande avec quelques touches de miel, la bouche a du gras avec un joli coulant derrière.
2002
Longueur effilée avec de l’énergie et une tension saline du meilleur effet, c’est encore un gamin ! On le conseille sur des crevettes grises.
2013
On est sur la coquille dhuître au nez comme en bouche, avec une belle persistance saline.
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